Licéité d’une clause de non-sollicitation : dernières précisions jurisprudentielles

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Les clauses de non-sollicitation de personnel constituent un mécanisme juridique par lequel une entreprise cliente d’une autre s’engage, sur une durée déterminée, à ne pas solliciter ou embaucher les salariés de cette entreprise prestataire.

Simple par leur définition, leur application ne l’est pas toujours autant, malgré le fait qu’elles soient régulièrement assorties d’une pénalité en cas de violation, à l’instar d’une décision de la Cour de cassation en mai dernier concernant la licéité d’une telle clause au regard de la proportionnalité des intérêts en jeu.

Dans les faits, deux sociétés de distribution ayant le même dirigeant et le même siège social, se sont engagées avec une troisième société, par le biais d’une charte « à n’embaucher, sauf accord explicite dérogatoire entre les parties concernées, aucun « commercial » employé par un autre membre du groupement ou ayant été employé par un autre membre du groupement et ayant quitté celui-ci depuis moins d’un an ».

Estimant que les deux premières sociétés avaient violé la charte en embauchant un certain nombre de ses anciens commerciaux, lesquels avaient démarché ses clients au bénéfice de leur nouvel employeur, la troisième société les assigne en réparation de son préjudice.

Les deux sociétés se défendent en évoquant la nullité de la clause de non-sollicitation, en soulevant le moyen selon lequel cette clause apporte une restriction tant à la liberté du commerce et de l’industrie qu’à la liberté du travail, et rappellent que « la clause par laquelle une partie s’interdit d’embaucher, directement ou indirectement, les salariés ayant été employés par une autre partie, n’est licite que dans la mesure où elle est proportionnée à la protection des intérêts légitimes de son créancier ».

Or, en l’espèce, la clause dénoncée empêchait les cinq sociétés signataires, ainsi que l’ensemble des sociétés de distribution contrôlées par elles, membres du « groupement », d’embaucher directement ou indirectement, des commerciaux ayant été employés par un autre membre et ayant quitté celui-ci depuis moins d’un an.

Pour les sociétés défenderesses, cette clause est disproportionnée et donc nulle en ce qu’elle fait obstacle à l’embauche de commerciaux au sein de l’ensemble des sociétés membres du groupement, y compris dans un secteur d’activité économique pourtant différent de celui de leur ancien employeur.

La Cour d’appel saisie fait malgré tout droit à la demande de la société se prévalant du bénéfice de la clause de non-sollicitation, la déclarant valable tant en ce qu’elle est limitée dans le temps, qu’elle ne limite pas la liberté du travail de manière disproportionnée, puisque les salariés peuvent travailler pour une entreprise qui n’est pas membre du groupement, et que la clause prévoit la faculté de conclure un accord dérogatoire entre les sociétés du même groupe.

La juridiction de second degré précise in fine que cette clause ne constituait pas une clause de non-concurrence mais une clause de non-sollicitation, dont elle n’est ni une variante ni une précision.

La Cour de cassation chargée de trancher le litige censure la décision de la Cour d’appel au visa de l’ancien article 1134 du Code civil « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » et par un attendu précis déclare que :

« Une stipulation contractuelle qui porte atteinte aux dits principes n’est licite que si elle est proportionnée aux intérêts légitimes à protéger compte tenu de l’objet du contrat ».

La Haute de juridiction ne partage pas la position de la juridiction de second degré quant au respect de la liberté de travail et juge que la clause porte atteinte à la liberté du travail des personnes qui étaient contractuellement liées à ces entreprises ainsi qu’à la liberté d’entreprendre de ces dernières.

Il s’agit ici d’une précision inédite au vu des critères cumulatifs retenus en matière de clause de non-concurrence (limitation dans le temps et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger), puisque la chambre commerciale écarte la qualification de la clause pour statuer.

Peu importe que l’intitulé de la restriction soit « clause de non-sollicitation » ou « clause de non-concurrence », en présence d’atteintes portées à la liberté de travail, l’exigence de proportionnalité porte sur les intérêts légitimes à protéger compte tenu de l’objet du contrat.

Laurent MASCARAS – Rémy CERESIANI

Avocats associés

Référence de l’arrêt : Cass. com 27 mai 2021 n°18-23.261 et 18-23.699